Si le modèle économique et social fondé sur la distribution et l’endettement est reconduit, la chute de la France deviendra irréversible.
Où va la France ? La question a été largement éludée lors de l’entretien d’Emmanuel Macron diffusé par TF1 et LCI, qui a plutôt tenté de répondre à l’interrogation « Qui suis-je ? », afin d’apurer le passif personnel qui surplombe sa relation avec les Français. Elle devrait pourtant être au cœur du débat présidentiel, dans un pays qui se trouve à un tournant de son histoire, hésitant entre redressement et effondrement.
Tout d’abord, où en est la France ? Le postulat d’un pays plus fort en 2021 qu’en 2017 ne tient pas. Il serait au demeurant très surprenant. La France était exsangue et déchirée au terme de la présidence de François Hollande, ce qui a d’ailleurs rendu possible l’élection d’Emmanuel Macron. Or le quinquennat qui s’achève a été marqué par deux crises majeures : l’une, nationale, avec le mouvement des « gilets jaunes » ; l’autre, universelle, avec l’épidémie de Covid. Seul un miracle aurait permis à notre pays de sortir renforcé de ces épreuves ; il n’a pas eu lieu.
La forte reprise de 2021, marquée par une croissance de 6,7 %, la création de 500 000 emplois et la stabilisation du chômage à 8 % de la population active, peut donner l’illusion d’un redressement de l’économie française. Elle doit en réalité tout au rattrapage de la récession historique de 8 % du PIB en 2020 provoquée par la fermeture administrative des entreprises.
Les principaux succès du quinquennat d’Emmanuel Macron résident dans la diminution du chômage de 9,5 à 8 % – alors même qu’un million d’emplois restent non pourvus -, la progression du pouvoir d’achat de 1,6 % par an, les créations d’entreprises et l’essor de la French Tech, qui lèvera près de 10 milliards d’euros en 2021.
La performance d’ensemble n’en reste pas moins médiocre, avec une croissance moyenne limitée à 0,7 % par an et le retour durable de l’inflation qui atteint 2,8 % en 2021, laminant le pouvoir d’achat. La stabilisation des écarts de revenu est par ailleurs allée de pair avec le fort accroissement des inégalités de statut et de patrimoine.
Surtout, le décrochage de la France s’est accéléré. Le déficit extérieur s’est envolé pour atteindre 86 milliards d’euros en 2021 et 95 milliards en 2022 – soit 3,7 % du PIB -, résultat d’une chute de 3 % à 2,5 % des parts de marché mondial. Le déficit public a explosé, portant la dette de 98 % à 116 % du PIB depuis 2017, et la course folle des dépenses « quoi qu’il en coûte » se prolongera de manière irresponsable en 2022 pour des raisons électorales, à grand renfort d’indemnité inflation, de compensation de la hausse de l’électricité ou des matières premières et de PGE.
Sur le plan de la production, le déclassement de l’industrie et de la recherche a été pleinement mis en lumière par la déroute du secteur de la santé, incapable de mettre au point un vaccin contre le Covid alors que l’ARN messager a été découvert par l’Institut Pasteur au début des années 1960. Il n’est pas jusqu’à la dépendance alimentaire qui ne s’est creusée avec l’importation de plus de 20 % de notre consommation.
Dans le même temps, les services publics de base de la santé, de l’éducation, de la sécurité et de la justice s’écroulent. Ils font désormais face à une fuite des talents et des compétences, alors même que les moyens qui leur sont affectés ont été démultipliés. L’hôpital en est exemplaire, où 5 à 20 % des lits sont fermés en plein regain épidémique en raison d’un taux de vacance de 5 % des postes et d’un absentéisme de 10 %. Et ce alors que 14 milliards ont été réinvestis dans les rémunérations et 19 milliards d’euros dans les équipements.
Les performances du système éducatif continuent à se dégrader, comme en atteste le classement Pisa, notamment dans les sciences. Résultat logique car le succès du dédoublement des classes de CP dans les quartiers prioritaires contraste avec la catastrophique réforme du lycée, qui conduit plus de la moitié des lycéens à abandonner tout enseignement scientifique en seconde et a entraîné la réduction de 18 % des heures de mathématiques en première et terminale. D’où un problème majeur pour l’évolution future de la productivité, alors qu’un poste de travail sur deux est aujourd’hui occupé par un salarié ne disposant pas des compétences suffisantes.
La conclusion est claire. Loin de révolutionner le modèle français de croissance à crédit, Emmanuel Macron l’a poussé dans ses dernières extrémités.
Notre pays a perdu sa souveraineté, c’est-à-dire la maîtrise de son destin, car il dépend de la Chine pour son approvisionnement en biens essentiels, des États-Unis pour la technologie et de l’Allemagne pour la réassurance de sa dette. Sans l’euro en effet, notre double déficit extérieur et public aurait déjà placé notre pays, comme en 1982, aux portes du FMI.
L’approfondissement de la crise économique et financière se traduit par la montée de la violence, qui se généralise et contamine tous les pans de la population et du territoire. L’achat de la paix sociale par le déversement de dépenses de transfert qui culminent à 34 % du PIB ne fonctionne plus. D’où la situation critique de la démocratie, menacée par l’emballement des passions identitaires, tant nationalistes avec une extrême droite créditée de 35 % des intentions de vote, que racialistes avec une extrême gauche en captant 15 %.
Où va donc la France ? Si le modèle économique et social fondé sur la distribution et l’endettement est reconduit, la chute de notre pays deviendra irréversible.
Sur le plan économique il sortira des dix premières puissances du monde à l’horizon 2030. Sur le plan financier, il n’échappera pas à une crise majeure au cours de la décennie, quand les taux d’intérêt – qui ont commencé à remonter aux États-Unis et au Royaume-Uni – dépasseront la croissance nominale.
Cette évolution n’a rien de fatal. Le déclin français reste hautement paradoxal pour une nation qui regorge d’atouts qui devraient lui permettre d’exceller dans le XXIe siècle : entrepreneurs et cerveaux, pôles d’excellence publics et privés, French Tech, épargne, énergie nucléaire, culture et civilisation. Mais ils sont annihilés par la démagogie politique et par les dysfonctionnements d’un État obèse et impuissant, qui ont refusé de s’adapter aux bouleversements du monde : mondialisation, irruption de la Chine dans les échanges internationaux, grand marché européen, passage à l’euro, révolution numérique.
Comme en 1945, la France doit se reconstruire en imaginant un modèle original dans le XXIe siècle. Et ce en tirant les leçons du Covid qui a montré que les démocraties aptes à affronter les risques de l’histoire universelle disposaient d’un État fort et agile, d’une industrie et d’une recherche dynamiques, d’une population éduquée et formée à l’usage des technologies de l’information, d’une bonne cohésion sociale, d’une confiance élevée des citoyens envers leurs institutions et leurs dirigeants.
Il faut donc imaginer un projet de rupture donnant la priorité à la production, à l’innovation, à l’inclusion par l’éducation, à la modernisation de l’État, au renouveau de la citoyenneté et à la défense intransigeante des valeurs de la République. Et pour cela non pas diviser mais rassembler les énergies. Ce sont les Français et non l’État qui sont la solution à la crise de notre modèle économique, de notre nation et de notre démocratie.
(Chronique parue dans Le Figaro du 20 décembre 2021)